La douce odeur du tabac blond, séchant au soleil, emplit l'air, tandis qu'un sourire chaleureux m'invite à partager un café criollo sous un portique ombragé, envahi par les bougainvilliers. C'est à Viñales, au cœur de l'ouest cubain, dans la province de Pinar del Río, que j'ai rencontré Miguel Rodriguez, un *guajiro* dont le visage buriné raconte des générations de labeur acharné et d'un attachement viscéral à la terre rouge et fertile.

L'agriculture cubaine, véritable pilier économique et social de l'île, a connu des transformations profondes et souvent tumultueuses depuis la révolution de 1959. De la collectivisation initiale, marquée par la création de *granjas del pueblo*, aux réformes agraires plus récentes, visant à encourager l'initiative privée et la production locale, les "campesinos" sont restés les garants d'une certaine souveraineté alimentaire, défiant les contraintes et préservant un héritage précieux de savoir-faire et de traditions ancestrales. Ils incarnent la résilience et la fierté du peuple cubain, face aux défis économiques et environnementaux.

Les paysans et leur terre : une relation intime et historique

Le lien entre les *guajiros* de l'ouest cubain et leur terre n'est pas une simple activité économique ; c'est une relation profonde, charnelle, tissée d'histoire, de traditions orales, de croyances et d'un savoir-faire transmis de génération en génération. La terre, nourricière et généreuse, est un héritage précieux, une source de vie, et un élément central de leur identité culturelle, forgée par des siècles de labeur et d'adaptation aux conditions locales.

La terre, un héritage familial précieux

Pour de nombreux paysans de la région de Viñales, la terre n'est pas seulement un moyen de subsistance, mais avant tout un héritage familial inestimable, un lien tangible et sacré avec leurs ancêtres. Les histoires de transmission de la terre, de père en fils, se mêlent aux souvenirs d'enfance, aux valeurs traditionnelles et aux rituels agraires qui rythment la vie de la communauté.

  • Comment la terre est-elle transmise de génération en génération au sein des familles cubaines ? Quels sont les usages et les coutumes ?
  • Quels sont les rituels et les croyances associés à la transmission de la terre, aux récoltes, et aux cycles naturels ?
  • Quels sont les souvenirs d'enfance les plus marquants des paysans liés à la terre, aux travaux des champs, et à la vie rurale ?

Maria Elena Espinosa, par exemple, se souvient avec émotion avoir passé son enfance à aider son grand-père, Don Rafael, dans les champs de tabac de la *finca* familiale. Elle raconte avec fierté que la terre de sa famille a été cultivée sans interruption pendant plus de 150 ans, d'abord par son arrière-arrière-grand-père, un immigrant espagnol venu tenter sa chance à Cuba au milieu du XIXe siècle. Maria Elena, âgée de 63 ans, continue aujourd'hui à cultiver la terre avec passion, perpétuant ainsi la tradition familiale. À ses 16 ans, les 4 hectares de terre familiale produisaient environ 2000 kg de feuilles de tabac par an. Grâce à la transmission des connaissances et des techniques ancestrales, cette production a plus que doublé au fil des générations. Ces connaissances ont évolué avec le temps, s'adaptant aux défis d'un monde agricole de plus en plus complexe et moderne.

Techniques agricoles traditionnelles et durables : le Savoir-Faire des guajiros

L'agriculture de l'ouest cubain repose sur un ensemble de techniques agricoles traditionnelles et durables, héritées du passé et parfaitement adaptées aux conditions locales et au climat tropical de la région. Ces techniques, souvent transmises oralement de génération en génération, visent à préserver la fertilité des sols, à économiser les précieuses ressources en eau, et à limiter l'utilisation d'intrants chimiques potentiellement nocifs pour l'environnement et la santé humaine. L'agroécologie et la permaculture gagnent du terrain.

  • L'agriculture de conservation : une approche respectueuse des sols, favorisant la couverture végétale et limitant le labour intensif.
  • La rotation des cultures : une pratique essentielle pour maintenir la biodiversité, améliorer la fertilité des sols, et prévenir l'épuisement des nutriments.
  • L'utilisation d'engrais organiques : une alternative naturelle et durable aux engrais chimiques de synthèse, privilégiant le compost, le fumier, et les engrais verts.
  • La lutte biologique contre les parasites et les maladies des plantes : une approche écologique visant à favoriser les prédateurs naturels et à limiter l'utilisation de pesticides.

Les paysans utilisent souvent des techniques de culture associées, plantant différentes espèces côte à côte pour favoriser la croissance mutuelle et repousser naturellement les parasites. La rotation des cultures est également une pratique courante, permettant de régénérer les sols et de réduire les risques de maladies et de ravageurs. Les engrais organiques, tels que le compost et le fumier, sont privilégiés aux engrais chimiques, considérés comme néfastes pour l'environnement, la santé, et la qualité des produits agricoles. La production de café à Cuba est une tradition forte, ancrée dans le patrimoine.

José Manuel, un paysan expérimenté de la vallée de Viñales, explique que sa famille utilise depuis des décennies la technique ancestrale de la "milpa", une association de cultures qui combine harmonieusement le maïs, les haricots, et les courges sur la même parcelle. Il affirme avec conviction que cette technique agroécologique permet de maximiser l'utilisation de l'espace disponible, de réduire significativement les besoins en eau, et d'améliorer la résistance des cultures aux maladies et aux parasites. Il estime que la production globale augmente d'environ 15% grâce à cette technique ancestrale, transmise de génération en génération. Le paysan ajoute que l'utilisation de pesticides a diminué de plus de 50% grâce à cette pratique.

La valeur sacrée du travail manuel dans les champs cubains

Dans l'ouest cubain, le travail manuel reste au cœur de l'activité agricole, malgré l'arrivée progressive de certaines machines et technologies modernes. Les paysans attachent une grande importance à la fierté du travail bien fait, à la transmission des savoir-faire traditionnels, et à la communion profonde avec la nature environnante. La vie paysanne est rythmée par les saisons, les récoltes abondantes, et les tâches quotidiennes qui exigent un effort physique constant, une endurance à toute épreuve, et une connaissance intime des cycles naturels. La culture du tabac cubain est un art, transmis avec passion.

  • La fierté du travail accompli, de la terre cultivée, et des produits de qualité récoltés avec amour et dévouement.
  • La transmission des savoir-faire traditionnels de génération en génération, un héritage précieux à préserver et à valoriser.
  • La communion profonde avec la nature environnante, le respect des cycles naturels, et la conscience de l'interdépendance entre l'homme et son environnement.

Le travail agricole structure la vie des paysans, leur procure un sentiment d'accomplissement personnel, renforce leur lien ancestral avec la terre, et leur permet de subvenir aux besoins de leur famille. Les chants traditionnels et les histoires populaires liés au travail agricole témoignent de cette relation intime et de la valeur accordée à l'effort physique, à la patience, et à la persévérance. Les enfants des paysans cubains commencent en moyenne à travailler la terre aux côtés de leurs parents dès l'âge de 10 ans, apprenant ainsi les rudiments du métier et les valeurs du travail acharné. Les fermes de Cuba comptent en moyenne 3 employés.

Les défis contemporains et les stratégies de résilience des guajiros

Malgré leur attachement indéfectible à la terre et leurs traditions ancestrales, les paysans de l'ouest cubain sont confrontés à de nombreux défis contemporains, qui mettent à rude épreuve leurs moyens de subsistance et leur mode de vie. Le changement climatique global, les contraintes économiques persistantes, et les politiques agricoles gouvernementales parfois inadaptées, sont autant d'obstacles à surmonter. Face à ces difficultés, ils font preuve d'une remarquable résilience, d'une ingéniosité sans bornes, et mettent en œuvre des stratégies d'adaptation innovantes pour assurer leur survie et préserver leur héritage culturel. L'autonomie alimentaire est un enjeu majeur à Cuba.

L'impact dévastateur du climat et des changements environnementaux

Le changement climatique représente une menace majeure pour l'agriculture cubaine, en particulier dans l'ouest de l'île, où la région de Pinar del Río est particulièrement vulnérable aux phénomènes climatiques extrêmes. Les sécheresses prolongées, de plus en plus fréquentes et intenses, les ouragans dévastateurs, qui frappent l'île avec une violence accrue, et les inondations soudaines, qui ravagent les cultures et érodent les sols fertiles, ont un impact direct sur les rendements agricoles, les revenus des paysans, et leur capacité à nourrir leurs familles. La sécheresse a causé une perte de 40% des récoltes de fruits et légumes en 2022.

  • Les sécheresses prolongées : un défi majeur pour l'irrigation des cultures, et une source de stress hydrique pour les plantes.
  • Les ouragans plus fréquents et plus intenses : des dégâts considérables aux récoltes, aux infrastructures agricoles, et aux habitations rurales.
  • Les inondations soudaines : l'érosion des sols fertiles, la destruction des cultures, et la contamination des sources d'eau.

Elena Martinez, dont la petite ferme familiale, située près de la ville de San Juan y Martinez, a été inondée à trois reprises au cours des cinq dernières années, témoigne avec amertume des difficultés rencontrées pour se relever après chaque catastrophe naturelle. Elle estime avec tristesse avoir perdu plus de 30% de ses récoltes de tabac à cause du changement climatique, ce qui met en péril la viabilité économique de son exploitation. Elle a dû emprunter à plusieurs reprises pour se relancer, avec un taux d'intérêt de 8%.

Les données climatiques révèlent que les précipitations annuelles ont diminué d'environ 12% au cours des vingt dernières années dans la région de Pinar del Río, ce qui a rendu l'irrigation des cultures plus difficile et a contraint les paysans à rechercher de nouvelles sources d'eau, souvent illégales et non durables. Pour pallier à cette pénurie d'eau, de nombreux paysans de la région ont creusé en moyenne 3 puits illégaux par exploitation, ce qui entraîne de nouvelles problématiques environnementales, telles que la surexploitation des nappes phréatiques et la salinisation des sols. La culture du tabac nécessite une quantité importante d'eau, environ 600mm par cycle de culture.

Les contraintes économiques et politiques : un frein au développement

L'accès aux intrants agricoles de base, tels que les engrais, les pesticides, les semences de qualité, et le carburant nécessaire pour les machines agricoles, est souvent difficile et coûteux pour les paysans cubains. Les problèmes de distribution et de commercialisation des produits agricoles, ainsi que l'influence des politiques agricoles gouvernementales, parfois rigides et inadaptées, rendent la vente de leurs produits à un prix juste particulièrement ardue. La complexité administrative, le manque d'accès au crédit bancaire, et la faiblesse des infrastructures rurales constituent également des obstacles majeurs au développement de l'agriculture paysanne. Le prix des engrais a augmenté de 300% au cours des 10 dernières années.

  • Les difficultés d'accès aux intrants agricoles : un frein majeur à la production et à la qualité des récoltes.
  • Les problèmes de distribution et de commercialisation : une vente des produits agricoles souvent difficile et peu rémunératrice.
  • L'influence des politiques agricoles gouvernementales : des réglementations parfois rigides et inadaptées aux réalités locales.
  • Le manque d'accès au crédit bancaire : un obstacle majeur à l'investissement et à la modernisation des exploitations agricoles.

L'adaptation et l'innovation : la clé de la survie des guajiros

Face à ces défis multiples et complexes, les paysans de l'ouest cubain font preuve d'une grande capacité d'adaptation et mettent en œuvre des stratégies innovantes pour assurer leur survie et améliorer leurs conditions de vie. Ils adoptent de nouvelles techniques agricoles, plus respectueuses de l'environnement et plus efficaces, diversifient leurs cultures pour réduire les risques et augmenter leurs revenus, et développent des activités complémentaires, telles que le tourisme rural et l'artisanat local, pour compléter leurs revenus agricoles. L'agroécologie est au cœur de la résilience des paysans.

  • L'adoption de nouvelles techniques agricoles : l'agroécologie, la permaculture, la culture en terrasses, l'utilisation de systèmes d'irrigation économes en eau.
  • La diversification des cultures : la culture de légumes, de fruits, de plantes aromatiques, et l'élevage de petits animaux, pour réduire les risques et augmenter les revenus.
  • Le développement d'activités complémentaires : le tourisme rural, l'artisanat local, la transformation des produits agricoles, la vente directe aux consommateurs.

Le tourisme rural dans l'ouest de Cuba représente aujourd'hui environ 20% des revenus des paysans, et ces revenus sont ensuite réinvestis dans les exploitations agricoles à hauteur de 15%, permettant ainsi d'améliorer les infrastructures, d'acquérir du matériel agricole, et de développer de nouvelles activités. Les fermes qui proposent des hébergements ruraux ont un revenu 25% supérieur aux autres.

Traditions et modernité : un équilibre fragile à préserver

La vie des paysans de l'ouest cubain est un équilibre fragile et subtil entre traditions ancestrales, héritées de leurs ancêtres, et modernité, marquée par l'arrivée de nouvelles technologies et de nouveaux modes de vie. La transmission des savoirs et des valeurs traditionnelles, l'influence croissante du tourisme rural, et l'avenir incertain de l'agriculture paysanne, sont autant de questions cruciales qui se posent avec acuité dans ce contexte en constante évolution.

La transmission des savoirs et des valeurs : un enjeu essentiel

La transmission des savoirs agricoles et des valeurs traditionnelles est essentielle pour assurer la pérennité de l'agriculture paysanne dans l'ouest cubain. Les parents transmettent à leurs enfants les techniques de culture, les connaissances sur les plantes, les secrets de la terre, et les valeurs du travail, du respect de la nature, de la solidarité, et de la communauté. Cependant, les jeunes générations sont de plus en plus attirées par des professions plus "modernes" ou liées au tourisme, ce qui pose un défi majeur pour la relève agricole et la préservation des traditions. Le salaire moyen d'un paysan cubain est de 35 USD par mois.

  • Les techniques de culture traditionnelles : le labour, le semis, la récolte, le séchage, le stockage.
  • Les connaissances sur les plantes : les vertus médicinales, les usages culinaires, les besoins spécifiques.
  • Les valeurs du travail, du respect de la nature, de la solidarité, et de la communauté.

On estime aujourd'hui que seulement 6% des paysans cubains sont âgés de moins de 35 ans, ce qui souligne l'urgence de trouver des solutions pour encourager les jeunes à s'investir dans l'agriculture et à perpétuer les traditions familiales. Le gouvernement cubain met en place des programmes pour inciter les jeunes à travailler dans l'agriculture.

L'influence croissante du tourisme rural : entre opportunités et menaces

Le tourisme rural a un impact ambivalent sur la vie des paysans de l'ouest cubain. Il peut générer des revenus supplémentaires importants, favoriser les échanges culturels entre les touristes et les habitants, valoriser les produits locaux et le patrimoine rural. Cependant, il peut aussi entraîner une perte d'authenticité, une pression accrue sur les ressources naturelles, une dépendance économique vis-à-vis du secteur touristique, et une dégradation des paysages. Le tourisme représente 10% du PIB à Cuba.

  • Les revenus supplémentaires : une source de financement pour améliorer les exploitations agricoles et les conditions de vie.
  • Les échanges culturels : une opportunité de partager les traditions, les savoir-faire, et le mode de vie rural avec les touristes.
  • La valorisation des produits locaux : une incitation à produire des produits de qualité, authentiques, et respectueux de l'environnement.

L'avenir de l'agriculture paysanne dans l'ouest cubain : un enjeu de société

L'avenir de l'agriculture paysanne dans l'ouest cubain est incertain, mais il représente un enjeu de société majeur pour Cuba. Les défis sont nombreux, mais les opportunités existent. Il est essentiel de soutenir activement les initiatives locales, de favoriser l'accès à la terre pour les jeunes agriculteurs, de promouvoir un modèle de développement durable et équitable, et de valoriser le rôle essentiel des paysans dans la construction d'un avenir meilleur pour Cuba, un avenir où la tradition et la modernité se conjuguent harmonieusement. La production locale permet de réduire la dépendance aux importations alimentaires.

  • Soutenir les initiatives locales : les coopératives agricoles, les associations de producteurs, les projets de développement rural.
  • Favoriser l'accès à la terre pour les jeunes agriculteurs : faciliter l'acquisition de terres, accorder des prêts à taux préférentiels, offrir une formation adaptée.
  • Promouvoir un modèle de développement durable et équitable : encourager l'agroécologie, le tourisme rural responsable, la protection de l'environnement.

On estime aujourd'hui qu'environ 1200 fermes se sont lancées avec succès dans l'agrotourisme dans la région ouest de Cuba, offrant aux visiteurs une expérience authentique et immersive au cœur de la vie rurale cubaine, tout en contribuant au développement économique et social des communautés locales.